© Éditions Albin Michel S. A. , 2003
22, rue Huyghens, 75014 Paris
ISBN 978-2-226-26016-1
La nuit avait été calme. Pas de cris, pas de cauchemars, pas de coups de sonnette qui réveillent l’infirmière allongée sur son lit de repos. J’avais dormi d’un seul trait.
Ce n’était pas la même infirmière que d’ordinaire. Celle-ci était jeune, brune, alerte. Elle avançait dans la chambre en dansant, et ses cheveux taillés en un casque noir brillaient dans les rayons du jour. Elle a tiré les rideaux d’un geste sec, sorti son thermomètre, clic-clac dans l’oreille, pris un Bic quatre couleurs dans la poche de sa blouse, inscrit ma température sur la feuille affichée au pied du lit, l’a considérée et a relevé la tête en s’exclamant : « Mais vous n’avez rien ! Vous êtes en parfaite santé ! »
J’ai fermé les yeux et j’ai décidé de ne pas lui répondre.
Cela ne l’a pas empêchée de continuer à me houspiller.
Vous avez vu le temps qu’il fait ? Qu’est-ce que vous faites à croupir dans cette maison de repos ? On est en avril, bientôt c’est l’été, et vous allez continuer à vous morfondre ici ? Qu’on soit en avril ou en janvier, j’ai maugréé, que m’importe ! Et si vous pouviez me laisser seule, j’apprécierais ! Je vous imaginais pas du tout comme ça ! elle a bougonné en refermant la porte.Je passai le reste de la journée à somnoler, m’appliquant à simuler un profond sommeil dès que j’entendais ses pas de danseuse dans le couloir. Et le soir, avant de m’endormir, j’ai convoqué Mathias...
Cette nuit-là, j’ai bien dormi.
Le lendemain matin et les jours suivants, l’infirmière est revenue. Elle entrait dans la chambre, ouvrait les rideaux d’un grand geste, clic-clac le thermomètre, clic-clac le Bic quatre couleurs sur la feuille de température, pointe de pieds, chassé-croisé, coulé, coupé, déboulé ! Pas un regard, pas un geste pour remonter les oreillers, pas un sourire. Elle me rappelait Louise : la même frange lourde, les mêmes yeux noirs, le même ovale parfait de visage, la même vivacité dans chaque geste esquissé, la même colère grondante qui s’échappait par bouffées. J’en vins à attendre sa visite chaque matin pour l’observer, les yeux mi-clos.
Louise... Louise jeune.
Nous ne nous parlions toujours pas. Jusqu’à ce matin où elle se planta devant mon lit.