Читать онлайн «Le nez»

Автор Николай Гоголь

Annotation

Né en Ukraine en 1809, Nicolaï Vassilievitch Gogol quitte à 19 ans sa petite ville natale pour chercher un emploi modeste à Saint-Pétersbourg. Attaché de ministère il est un fonctionnaire plutôt inexact et aigri, mais son séjour dans les bureaux lui donne l’occasion d’observer ses collègues, leur allure, leur langage.

C’est la représentation du Révizor, en 1836, qui lui apporte le succès, mais la même mise à nue de la mesquinerie humaine se retrouve dans ses nouvelles fantastiques, comme en témoignent les Nouvelles Pétersbourgeoises.

Issu de ce recueil, «le Nez», composé en 1838, conte l’histoire d’un fonctionnaire du Caucase venu faire carrière à Saint-Pétersbourg…

Nikolaï Vassilievitch Gogol

I

II

III

IV

notes

Nikolaï Vassilievitch Gogol

Le Nez

Traduit du russe par Léon Golschmann et Ernest Jaubert

I

Le 25 mars, il se passa à Saint-Pétersbourg un événement extraordinairement bizarre. Le barbier Ivan Iakovlievitch (son nom de famille s’est enseveli dans la nuit des temps, de sorte que, même sur l’enseigne qui représente un homme avec une joue couverte de mousse de savon, avec, dessous, cette inscription: «On tire aussi le sang», – ce nom ne se trouve pas) -, Ivan Iakovlievitch donc s’éveilla d’assez bonne heure et fut aussitôt frappé par une odeur de pain chaud. Se levant un peu sur son séant, il s’aperçut que son épouse, matrone très respectable, qui avait un goût prononcé pour le café, sortait du four des pains fraîchement cuits.

– Praskovia Ossipovna, lui dit Ivan Iakovlievitch, je ne prendrai pas de café aujourd’hui, parce que j’aime mieux déjeuner avec du pain chaud et de l’oignon (c’est-à-dire qu’Ivan Iakovlievitch aurait préféré l’un et l’autre, mais il savait qu’il lui était absolument impossible de demander deux choses à la fois, Praskovia Ossipovna ne tolérant jamais semblables fantaisies).

«Qu’il mange du pain, l’imbécile, se dit en elle-même la digne matrone, ce n’en est que mieux pour moi, j’aurai un peu plus de café. »

Et elle jeta un pain sur la table.

Ivan Iakovlievitch, par respect pour les convenances, endossa un vêtement par-dessus sa chemise et, ayant pris place à table, posa devant lui deux oignons et du sel; puis, s’emparant d’un couteau, il se mit en devoir de couper le pain.

L’ayant divisé en deux, il jeta un regard dans l’intérieur et aperçut avec surprise quelque chose de blanc. Il y plongea avec précaution le couteau, y enfonça un doigt:

«C’est solide! fit-il à part soi, qu’est-ce que cela pourrait bien être?»

Il enfonça encore une fois les doigts et en retira… un nez!…

Les bras lui en tombèrent, il se mit à se frotter les yeux, à le tâter: c’était en effet un nez et au surplus, lui semblait-il, un nez connu. La terreur se peignit sur la figure d’Ivan Iakovlievitch. Mais cette terreur n’était rien en comparaison de l’indignation qui s’empara de son épouse.

– À qui, bête féroce, as-tu coupé le nez comme cela? s’écria-t-elle avec colère. Coquin, ivrogne, je te dénoncerai moi-même à la police. Brigand que tu es! J’ai déjà ouï dire à trois personnes que tu avais l’habitude, en faisant la barbe, de tirer si fort les nez, qu’ils avaient peine à rester en place.