BERNARD CLAVEL
LA SAISON DES LOUPS
FRANCE LOISIRS
30, rue de l’Université 75005 Paris
© Éditions Robert Laffont, S. A. , 1976
B. C.
L’action se déroule en Franche-Comté en 1639, c’est-à-dire durant cette guerre dite de Dix Ans, qui dura neuf ans (1635-1644), que les historiens français préfèrent ignorer ou connaissent seulement comme un épisode sans importance de la Guerre de Trente Ans. En janvier 1629, Richelieu avait écrit à Louis XIII pour lui rappeler que la Navarre et la Franche-Comté pouvaient être considérées comme lui appartenant. Il précisait : « contiguës à la France et faciles à conquérir toutes fois et quantes que nous n’aurons autre chose à faire ».
La conquête de la Franche-Comté vit de grands massacres. Les Français aidés par les gens du Bugey (les Gris), des mercenaires allemands, suédois, suisses, etc. , se heurtèrent aux troupes régulières de la Comté, province espagnole, et aux partisans (les Cuanais, diminutif de Séquanais) placés sous les ordres de capitaines souvent illettrés dont le plus célèbre fut Pierre Prost dit Lacuzon (mot qui signifie souci en patois).
La Franche-Comté tenait à l’autonomie que lui assuraient les traités de neutralité, mais de tous temps, les traités ont été piétinés par les princes.
Ce roman, qui n’a aucune prétention historique, peut donc être reçu comme un épisode de l’histoire d’un crime commis par un roi de France et son ministre, mais il doit l’être surtout comme une aventure humaine, hélas ! encore actuelle pour l’essentiel.
B. C.
PREMIÈRE PARTIE
LE CHARRETIER D’AIGLEPIERRE
1
L’aube se devinait à peine.
Mathieu Guyon observa un moment le ciel de grisailles informes qui écrasait une lueur maladive. Le haut des monts disparaissait, englué dans ces nuées que le vent pétrissait. Mathieu pensa que cette aube annonçait de la pluie. Par-delà l’esplanade, derrière les maisons que la nuit noyait encore, le rougeoiement du grand feu que l’on entretenait vers la porte de Bracon, dessinait l’angle aigu des toits. Le vent rabattait la fumée dont l’odeur âcre venait parfois jusque-là. Mathieu la respira à petits coups et grogna :— Doivent plus avoir assez de genévrier, voilà qu’ils brûlent du sapin.
Ce vent qui semblait arriver sur la ville en suivant le cours de la Furieuse était froid. Il enveloppait le torse nu et ruisselant de Mathieu qui grommela :
— Ces vents de rivière, c’est tout mouillé. Je le sens bien… Ce sont ces vents-là qui apportent le mal. Ils ont traîné toute la nuit au fond de la vallée à ramasser des miasmes… Peut rien y avoir de bon là au fond. Ma mère le disait : Jamais ni bonnes gens ni bon vent ne sont sortis de là-dedans.
— Qu’est-ce que tu grognes encore, Guyon ? Avec toi, y a toujours quelque chose qui ne va pas !
La voix aigre du saunier tombait d’une portion de nuit à peine teintée d’une lueur jaune que diluait le flot de buée jaillissant d’une étroite lucarne. Mathieu devina la tête du vieux Domet qui se penchait pour le surveiller. De là-haut, il devait très bien voir Mathieu qui se tenait assez près de la porte pour être encore éclairé par les flammes du foyer.