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Автор Андре Жид

André Gide

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notes

André Gide

Isabelle

À André Ruyters

Gérard Lacase, chez qui nous nous retrouvâmes au mois d’août 189. , nous mena, Francis Jammes et moi, visiter le château de la Quartfourche dont il ne restera bientôt plus que des ruines, et son grand parc délaissé où l’été fastueux s’éployait à l’aventure. Rien plus n’en défendait l’entrée: le fossé à demi comblé, la haie crevée, ni la grille descellée qui céda de travers à notre premier coup d’épaule. Plus d’allées; sur les pelouses débordées quelques vaches pâturaient librement l’herbe surabondante et folle: d’autres cherchaient le frais au creux des massifs éventrés; à peine distinguait-on de ci de là, parmi la profusion sauvage, quelque fleur ou quelque feuillage insolite, patient reste des anciennes cultures, presque étouffé déjà par les espèces plus communes. Nous suivions Gérard sans parler, oppressés par la beauté du lieu, de la saison, de l’heure, et parce que nous sentions aussi tout ce que cette excessive opulence pouvait cacher d’abandon et de deuil. Nous parvînmes devant le perron du château, dont les premières marches étaient noyées dans l’herbe, celles d’en haut disjointes et brisées; mais, devant les portes-fenêtres du salon, les volets résistants nous arrêtèrent. C’est par un soupirail de la cave que, nous glissant comme des voleurs, nous entrâmes; un escalier montait aux cuisines; aucune porte intérieure n’était close… Nous avancions de pièce en pièce, précautionneusement car le plancher par endroits fléchissait et faisait mine de se rompre; étouffant nos pas, non que quelqu’un pût être là pour les entendre, mais, dans le grand silence de cette maison vide, le bruit de notre présence retentissait indécemment, nous effrayait presque.

Aux fenêtres du rez-de-chaussée plusieurs carreaux manquaient; entre les lames des contrevents un bignonia poussait dans la pénombre de la salle à manger, d’énormes tiges blanches et molles.

Gérard nous avait quittés; nous pensâmes qu’il préférait revoir seul ces lieux dont il avait connu les hôtes, et nous continuâmes sans lui notre visite. Sans doute nous avait-il précédés au premier étage, à travers la désolation des chambres nues: dans l’une d’elles une branche de bois pendait encore au mur, retenue à une sorte d’agrafe par une faveur décolorée; il me parut qu’elle balançait faiblement au bout de son lien, et je me persuadai que Gérard en passant venait d’en détacher une ramille.

Nous le retrouvâmes au second étage, près de la fenêtre dévitrée d’un corridor par laquelle on avait ramené vers l’intérieur une corde tombant du dehors; c’était la corde d’une cloche, et je l’allais tirer doucement, quand je me sentis saisir le bras par Gérard; son geste, au contraire d’arrêter le mien, l’amplifia: soudain retentit un glas rauque, si proche de nous, si brutal, qu’il nous fit péniblement tressaillir; puis lorsqu’il semblait déjà que se fût refermé le silence, deux notes pures tombèrent encore, espacées, déjà lointaines. Je m’étais retourné vers Gérard et je vis que ses lèvres tremblaient.