Françoise Sagan
Avec
mon meilleur
souvenir
Gallimard
© Éditions Gallimard, 1984.
Rimbaud
New York est une ville de plein air, coupée au cordeau, venteuse et saine, où s’allongent deux fleuves étincelants : l’Hudson et l’East River. New York vibre nuit et jour sous des coups de vents marins, odorants, chargés de sel et d’essence – le jour –, et d’alcool renversé – la nuit. New York sent l’ozone, le néon, la mer et le goudron frais ; New York est une grande jeune femme blonde, éclatante et provocante au soleil, belle comme ce « rêve de pierre » dont parlait Baudelaire, New York qui cache aussi, comme certaines de ces grandes femmes trop blondes, des zones sombres et noires, touffues et ravagées. Bref, si le lecteur veut bien me passer ce lieu commun – et d’ailleurs que peut-il faire d’autre ? – New York est une ville fascinante.
Et fascinée, je le fus, tout de suite, dès la première fois où
je m’y rendis, mais invitée alors par mon éditeur et avec la rançon de cette invitation :
les castagnettes et les contraintes de l’auteur en piste. Aussitôt rentrée à Paris,
je rêvai de revenir libre, ce que je fis, un an ou deux plus tard : libre de
tous les liens, refusant même ceux de la solitude puisque je m’y rendis avec un
très bon ami nommé Michel Magne, compositeur reconnu depuis pour ses musiques de
film et ses recherches sur synthétiseurs. Michel Magne ne possédait pas un mot d’anglais,
mais débordait d’humour, supportait même sans trop de jurons que les passants jetassent
leurs peaux de banane et leurs mégots dans la boîte où lui-même postait ses lettres
d’amour, boîte pourtant clairement indiquée à ses yeux par le mot « litters ».
De toute façon, il avait la même obsession que moi depuis dix ans (je devais en
avoir vingt-deux ou vingt-trois à l’époque dont je parle) : rencontrer, écouter
chanter de sa « vive voix » Billie Holiday, la Diva du Jazz, la Lady du
Jazz, Lady Day, la Callas, la Star, la Voix du Jazz. Elle était pour Michel Magne
comme pour moi la Voix de l’Amérique, non pas encore pour nous la voix douloureuse
et déchirée de l’Amérique noire, mais plutôt la voix voluptueuse, rauque et capricieuse
du jazz à l’état pur. De