Читать онлайн «Avec mon meilleur souvenir»

Автор Франсуаза Саган

Françoise Sagan

Avec

mon meilleur

souvenir

Gallimard

© Éditions Gallimard, 1984.

La légende Sagan a commencé il y a plus de trente ans : le scandale de Bonjour tristesse, la folie des voitures de course, les nuits blanches de Saint-Tropez ou de Saint-Germain-des-Prés, les casinos jusquà laube… les copains.

Pour la première fois, Françoise Sagan se raconte elle-même. Oui, elle aime la vitesse, Saint-Tropez, le jeu, les copains. Mais elle déteste le scandale, tous les scandales, le bruit fait autour delle. Timide et réservée, cest en parlant de ce qui lui est cher et non en analysant ses propres états dâme quelle se livre totalement.

Elle évoque avec le même naturel ses dîners avec Jean-Paul Sartre aveugle que ses « fours » au théâtre. Ici lémotion domine, lhumour lemporte. Mais une constante se dégage de tous ces récits : Françoise Sagan aime aimer, elle aime admirer, à la différence des hommes… et femmes de lettres peu portés à reconnaître plus grands queux-mêmes. Ceux quelle nous fait rencontrer, ce sont ceux qui lont touchée par leur talent, leur générosité, leur tragique (talent, générosité et tragique liés le plus souvent) : Billie Holiday, Orson Welles, Jean-Paul Sartre, Carson McCullers, Marie Bell, Rudolf Noureev, Tennessee Williams…

« Avec mon meilleur souvenir… » Françoise Sagan nous rappelle ce quelle a connu, ce quelle connaît de meilleur : le petit matin où, sortie du casino de Deauville, elle a acheté, avec largent de ses gains, sa maison de Normandie, ou… sa dernière rencontre au théâtre avec Tennessee Williams qui allait mourir, désespéré, quelque temps plus tard.

De ces récits simples et vivants se dégage une leçon que Françoise Sagan se garde bien de tirer. Pourquoi avoir peur des grands mots, des mots simples : naturel, honnêteté, générosité, admiration ?

À ma mère.

Jaurais voulu montrer aux enfants ces dorades

Du flot bleu, ces poissons dor, ces poissons chantants.

Rimbaud

Le Bateau ivre

Billie Holiday

New York est une ville de plein air, coupée au cordeau, venteuse et saine, où s’allongent deux fleuves étincelants : l’Hudson et l’East River. New York vibre nuit et jour sous des coups de vents marins, odorants, chargés de sel et d’essence – le jour –, et d’alcool renversé – la nuit. New York sent l’ozone, le néon, la mer et le goudron frais ; New York est une grande jeune femme blonde, éclatante et provocante au soleil, belle comme ce « rêve de pierre » dont parlait Baudelaire, New York qui cache aussi, comme certaines de ces grandes femmes trop blondes, des zones sombres et noires, touffues et ravagées. Bref, si le lecteur veut bien me passer ce lieu commun – et d’ailleurs que peut-il faire d’autre ? – New York est une ville fascinante.

Et fascinée, je le fus, tout de suite, dès la première fois où je m’y rendis, mais invitée alors par mon éditeur et avec la rançon de cette invitation : les castagnettes et les contraintes de l’auteur en piste. Aussitôt rentrée à Paris, je rêvai de revenir libre, ce que je fis, un an ou deux plus tard : libre de tous les liens, refusant même ceux de la solitude puisque je m’y rendis avec un très bon ami nommé Michel Magne, compositeur reconnu depuis pour ses musiques de film et ses recherches sur synthétiseurs. Michel Magne ne possédait pas un mot d’anglais, mais débordait d’humour, supportait même sans trop de jurons que les passants jetassent leurs peaux de banane et leurs mégots dans la boîte où lui-même postait ses lettres d’amour, boîte pourtant clairement indiquée à ses yeux par le mot « litters ». De toute façon, il avait la même obsession que moi depuis dix ans (je devais en avoir vingt-deux ou vingt-trois à l’époque dont je parle) : rencontrer, écouter chanter de sa « vive voix » Billie Holiday, la Diva du Jazz, la Lady du Jazz, Lady Day, la Callas, la Star, la Voix du Jazz. Elle était pour Michel Magne comme pour moi la Voix de l’Amérique, non pas encore pour nous la voix douloureuse et déchirée de l’Amérique noire, mais plutôt la voix voluptueuse, rauque et capricieuse du jazz à l’état pur. De Stormy Weather à Strange Fruits, de Body and Soul à Solitude, de Jack Teagarden à Barney Bigard, de Roy Eldridge à Barney Kessel, nous avions, Michel Magne et moi, séparément mais au même âge, pleuré à verse ou ri de plaisir en l’écoutant.